Robert BADINTER : l’éloquence de la raison

27/10/2021
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Robert Badinter, ce jour là, le 17 septembre 1981, sait qu’il prononce un discours historique. La chambre – à majorité socialiste- lui est acquise. N’empêche. Il souhaite emporter la conviction de l’opinion publique, au-delà des seuls députés. D’où un discours très argumenté, nourri de références historiques. Une démonstration implacable pour tordre définitivement le cou à la guillotine…

Badinter Acte 1 : Pourquoi la France tue-t-elle encore ?

« La France a été parmi les premiers pays du monde à abolir l’esclavage (…). Il se trouve que la France (…) aura été presque le dernier pays, et je baisse la voix pour le dire – en Europe occidentale à abolir la peine de mort. » Badinter entre très vite dans le vif du sujet.

Au lieu d’expliquer pourquoi il faut abolir, il se demande pourquoi la France n’a-t-elle pas encore aboli ? C’est bien plus malin… Il nous introduit ainsi dans une réflexion historico-politique, pour démontrer l’aberration de cette situation.

Et n’hésite pas à rappeler quelques grandes figures abolitionnistes qui ont pourtant marqué notre histoire : Jaurès en 1908, Briand, puis plus rien.

« Les temps passèrent », glisse l’avocat qui montre du doigt les précédents gouvernements qui ont fait la sourde oreille à « tant d’entre vous qui avec courage réclamaient ce débat ». Et Badinter de conclure ce rappel historique par cette phrase : « On avait le sentiment à entendre ceux qui avaient la responsabilité de la proposer qu’il était (…) urgent d’attendre.

Attendre, après 200 ans ! Attendre comme si la peine de mort ou la guillotine était un fruit qu’on devait laisser mûrir avant de le cueillir. » Usage de la répétition du verbe « attendre », placé en début de phrase pour qu’il ait toute sa force. La force de l’absurdité, que Badinter chercher ici à dénoncer.

Badinter Acte 2 – Un choix politique

Dans cette partie, Badinter démontre que peine de mort rime avec dictature. Donc si la France n’est pas une dictature pourquoi exécute-t-elle encore ? Le propos est clair, limpide, quasiment indiscutable.

Et Badinter n’y va pas avec le dos de la cuillère : « Partout dans le monde et sans aucune exception, où triomphent la dictature et le mépris des droits de l’homme, partout vous y trouverez inscrite en caractères sanglants, la peine de mort. » On voit ici qu’il n’est nul besoin de multiplier les adjectifs… Il suffit de choisir le bon, en l’occurrence « sanglants ».

Badinter Acte 3 – Un choix moral

Quant au « choix moral », là encore c’est avec une seule formule qu’il fait éclater son propos. Une phrase qui pourrait être un slogan abolitionniste : « Parce qu’aucun homme n’est totalement responsable, parce qu’aucune justice ne peut être absolument infaillible, la peine de mort est moralement inacceptable. »

La force du pourquoi qui assène, comme une déferlante, une affirmation que nul n’oserait contredire. « Moralement inacceptable », deux mots choisis pour marquer au fer rouge l’esprit des députés mais aussi celui du public. Deux mots qui balaient –sans concession- cette « justice qui tue » qui révulse l’avocat au plus au haut point. N’a-t-il pas confié un jour, après avoir assisté à l’exécution d’un de ses clients : « Ce matin-là, avocats, juges…. Nous avions tous une tête d’assassin ».

Deux semaines après les députés (363 voix contre 117), les sénateurs votaient aussi pour l’abolition (160 contre126). Le 9 octobre 1981, la guillotine était enfin condamnée aux oubliettes….

 

 

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Journaliste et consultante pour Pitch361