L’ÉLOQUENCE DES LYCÉENS, UN COMBAT POUR LA VIE

15/11/2020
On est éloquent quand on a 17 ans. Ce n’est pas du Rimbaud, mais du Patrice Bessac, qui a eu la bonne idée il y a trois ans de créer des ateliers d’éloquence pour les lycéens de Montreuil, la ville dont il est maire. Mais que peuvent bien avoir à raconter d’intéressant des jeunes lycéens de 15 à 18 ans ?

Eloquence : vie, envies, avis

J’ai eu la chance de rejoindre l’équipe des « Libres Parleurs » au commencement du projet. En six mois au Lycée Jean Jaurès, j’ai assisté à une joyeuse variété de discours : émouvants, éclairants, drôles, maladroits au début et provocants parfois, mais toujours sincères et généreux. Des fenêtres ouvertes sur la vie : les envies, les avis d’adolescent·e·s qui font là un sacré pied de nez aux sceptiques. Oui, l’éloquence existe chez les jeunes. Ils ont des choses à dire, à condition de les encourager et de leur donner des clefs pour s’exprimer.

Mon coup de cœur de l’édition 2020 : Faridatou N’da. L’excellence de sa prestation, à la fois dans l’écriture et dans l’incarnation, a laissé ce jour-là le public montreuillois sans voix. Alors, de quoi pourrait-on s’inspirer chez cette jeune oratrice de 17 ans ?

L’éloquence des silences 

D’abord, on remarquera le silence initial, qui permet à l’auditoire de se concentrer et d’être 100% attentif lorsque Faridatou commence à s’exprimer. Puis, tout au long des 9 minutes de prise de parole, les nombreuses pauses, plus ou moins longues, qui laissent le temps et l’espace pour digérer le contenu du discours.

Le storytelling

A la conférence, Faridatou préfère le témoignage. A la narration omnisciente, elle préfère la lucarne de l’intime. A l’argumentation classique, structurée dans un plan en plusieurs parties, elle préfère le storytelling. Un choix malin car il permet d’aborder de manière moins frontale la question délicate du logement digne. Un moyen efficace aussi : on se projette davantage dans une histoire avec des personnages, des lieux et des époques que dans une argumentation technique.

L’art de la description

Pour nous toucher, Faridatou a recours à des descriptions précises. L’auditoire peut se projeter dans son environnement : « Je ne mettais plus mes habits dans de gros sacs poubelle qui se déchiraient constamment mais dans une armoire… avec des étagères ! ». La précarité devient visible, concrète, impliquante.

Les répétitions au service de l’éloquence

Elles permettent de structurer le discours, de créer des repères mais aussi des parallèles qui aident à la mémorisation. La première répétition majeure, « 17 ans », permet une boucle narrative entre le tout début du discours : « 17 ans. Cela faisait 17 ans que ma mère était en France. 17 ans que ma famille vivait dans un F2 »; et la toute fin :« A 17 ans, si je continue de me battre […], c’est en prenant la parole ». Un autre âge est répété : « 12 ans ». « A mes 12 ans, j’ai pris une feuille, un stylo 4 couleurs et j’ai écrit ». « A 12 ans, j’écrivais dans mon carnet de bord : la vie est une guerre ». « A 12 ans, je me suis battue […] en prenant la plume ». Ces deux âges résonnent l’un par rapport à l’autre dans une continuité du combat pour la vie.

L’optimisme

Le sujet n’est pas particulièrement joyeux : précarité, difficultés à se loger… On pourrait facilement tomber dans un pathos indigeste voire culpabilisant. Le tour de force de Faridatou, c’est de rester sur un fil entre gravité et optimisme. « Le changement, c’est maintenant », les « doigts de pieds dans la figure », la « salve de pets » : l’humour est là, présent, vivifiant. La résilience aussi. Loin de s’arrêter au simple constat d’une difficulté, la jeune oratrice parle d’ « espoir » et démontre qu’il est possible d’agir « pour la vie ». Un zeste de positif qui rend son discours encore plus fort !

Le non verbal et le para-verbal dans l’éloquence

Techniquement, enfin, Faridatou frise la perfection : un corps ancré et vertical, des épaules ouvertes, une gestuelle juste et économe (malgré deux couacs de micro), un regard assuré et également distribué, une voix posée et modulée.

Décidément,  » la valeur n’attend pas le nombre des années ». On peut être parfaitement éloquent quand on a 17 ans !

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Formatrice en communication orale.