Empathie, amie ou ennemie ?

09/06/2022
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C’est la vertu à la mode, sœur de la bienveillance et mère de la compassion, très en vogue dans les entreprises. Seulement voilà : l’empathie est souvent sélective, elle peut aussi être instrumentalisée et manipulée, voire aller carrément contre le sens moral. Décryptage de la face obscure de cette faculté pourtant indispensable pour nourrir le lien social. Et si utile pour communiquer avec ses semblables.

L’affaire est entendue : il faut être empathique. Faire preuve d’empathie, selon la définition du dictionnaire Le Robert, c’est cette « capacité à s’identifier à autrui dans ce qu’il ressent ». Une faculté indispensable, nous affirme-t-on, à de sains échanges avec nos semblables. Chercheur et formateur en rhétorique, Victor Ferry la décrit comme un « outil permettant d’engager, de maintenir ou de restaurer la communication en dépit de profondes divergences d’opinions, de cultures et de visions du monde. »

L’empathie, ce super pouvoir 

Afin d’expliquer l’empathie aux enfants, l’illustratrice québécoise Élise Gravel a dessiné une affiche partagée par des dizaines de milliers de personnes sur Facebook. Trois petits bonshommes, cape rouge sur le dos et lettre « E » floquée sur la poitrine façon Superman, arrivent à la conclusion suivante : « Au fond, c’est un SUPER POUVOIR qui nous permet de mieux vivre ensemble ».

Dans les entreprises, l’empathie, gage de compassion et d’altruisme, est désormais une compétence, un « soft skill » comme disent les Anglo-saxons, très recherchée, et même, selon le magazine Forbes de janvier 2022, « la clé de la réussite » qui doit impérativement figurer dans le trousseau du manager digne de ce nom, au côté du sens de l’organisation, de la capacité à déléguer et de la faculté à gérer les conflits (entre autres). Elle peut aussi l’aider à mobiliser ses troupes par le verbe. « C’est en s’appuyant sur sa capacité à simuler mentalement la subjectivité d’autrui que l’orateur inventera des arguments adaptés à l’auditoire auquel il s’adresse », écrit Victor Ferry. Le président ukrainien Volodymyr Zelenski l’a bien compris, qui invoque la bataille de Verdun devant l’Assemblée Nationale et la défaite américaine de Pearl Harbor devant le Congrès des États-Unis.

Priorité à la « proximité identitaire »

Oui, mais… L’empathie est sélective. Intense avec ceux qui partagent notre culture et notre ère géographique (les Ukrainiens par exemple), bien plus flageolante avec ceux qui nous ressemblent moins (les Afghans ou les Syriens). Dans son livre Empathie et manipulation (Albin Michel, 2020), le psychiatre Serge Tisseron décrypte le côté obscur de cette supposée vertu. Il relate ainsi une expérience menée auprès de petits enfants. Ceux-ci devaient indiquer leur préférence entre une gentille marionnette qui en aide une autre à s’extraire d’une boîte et une méchante qui tente de l’en empêcher. Les petits ont plébiscité la première. « Mais il a suffi qu’on habille la marionnette mal intentionnée avec un T-shirt de la même couleur que le leur pour que leur préférence s’inverse », souligne l’auteur. Priorité, donc, à la « proximité identitaire ».

L’arme des sadiques et des tortionnaires

Le neurobiologiste Sébastien Bohler, rédacteur en chef de la revue Cerveau & psycho et auteur de Human psycho (Éditions Bouquins, 2022) rapporte une autre expérimentation, menée celle-là auprès des supporters de deux équipes de football rivales. De légères décharges électriques ont été infligées à ces fans, sous le regard des autres. Les résultats observés chez les spectateurs font froid dans le dos : quand il s’agissait de l’un des leurs, la région du cerveau en rapport avec la douleur était activée. Lorsque c’était l’un de leurs adversaires, la zone impliquée était celle du plaisir. Pas étonnant que Bohler ait ajouté à son ouvrage le sous-titre suivant : « comment l’humanité est devenue l’espèce la plus dangereuse de la planète »…

La « simulation mentale de la subjectivité de l’auditoire […] au service de la force persuasive du discours » décrite par Victor Ferry peut s’appuyer parfois sur les sentiments les plus vils et les aspirations les plus sombres. Adolf Hitler en a administré la preuve flagrante à travers ses discours qui galvanisaient les foules allemandes. À l’exact opposé de Martin Luther King ou Gandhi, par exemple, qui faisaient appel, eux, aux émotions positives de l’assistance.

Apprendre l’empathie

L’empathie n’en demeure pas moins une faculté extraordinaire, promesse de relations interpersonnelles apaisées. Une faculté qui, en prime, s’éduque et se cultive. Elle est aujourd’hui au centre de plusieurs dispositifs pédagogiques mis en place par l’Éducation nationale. Dans une quinzaine de villes de France, des « Cafés empathie » ont éclos à l’initiative de l’Association pour la communication non violente. Objectif de ces rencontres : faire germer la petite graine de l’empathie des participants grâce à une écoute neutre et bienveillante. D’empathie à sympathie, il n’y a qu’une petite syllabe.

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Journaliste et autrice.