Prendre la parole est un pouvoir. Lorsque les mêmes chroniqueurs ou invités expriment leur point de vue, jour après jour, sur les chaînes de télévision ou de radio, ils nous influencent. Cela est notamment dû à un biais cognitif décrit par Robert Zajonc, l’effet de simple exposition, qui explique que l’exposition répétée à un discours nous rend plus positif vis-à-vis de ce dernier.
La prise de parole permet donc d’influencer, de manipuler voire de dominer. Les mots sont des armes : ils traduisent une vision du monde que l’orateur cherche, au mieux, à nous faire partager ; au pire, à nous imposer. La novlangue de 1984, ouvrage phare de George Orwell, pousse la dimension manipulatoire du langage à son paroxysme. Une dystopie ? On l’espèrerait ! Mais aujourd’hui, les techniques de manipulation oratoire sont légion.
Un pouvoir inégalement réparti
L’effet serait moindre si chacun avait accès à la parole médiatique. Auquel cas, tout le monde influencerait tout le monde de manière équitable. Mais ce n’est pas le cas. Si nous avons toutes et tous accès à la parole privée, dans le cadre familial, amical, amoureux, peu ont accès à la parole publique et encore moins à la parole médiatique. Et même l’accès ne règlerait pas tout : en effet, une fois sur un plateau ou à la radio, nous n’avons pas tous la même aisance et la même force de conviction, celles-ci dépendant de différents facteurs parmi lesquels l’origine socio-économique ou la pratique. Or, le manque de confiance passe souvent pour un manque de compétence, comme l’explique Tomas Chamorro-Premuzic. Cela a pu jouer, par exemple, contre les Gilets Jaunes invités sur des plateaux télé : peu habitués à la prise de parole médiatique, ils ont connu des difficultés à faire valoir leur point de vue.
Prendre la parole : une opportunité d’avoir de l’impact
Trêve de désespoir ! Il existe tout de même de bonnes nouvelles. Si la parole est un pouvoir, alors vous pouvez prendre le pouvoir en prenant la parole. Ou tout au moins, avoir de l’impact.
Prendre la parole en public, c’est d’abord sortir de l’invisibilité, être vu et entendu, exister dans le regard de l’autre, dans la société. C’est devenir le héros de sa propre histoire au lieu d’être un personnage secondaire dans celle des autres. Lorsque des jeunes lycéens de Montreuil participent à un concours d’éloquence à la Mairie, ils deviennent sujets. Ils disent : « Nous n’avons besoin de personne pour parler à notre place ; nous pouvons porter notre propre voix ».
Lorsque Adèle Haenel prend la parole pour dénoncer le harcèlement et les agressions sexuelles qu’elle a subies, elle fait sortir les victimes du silence, de la honte. Elle ne subit plus, se libère et libère les autres victimes. Par sa prise de parole, elle prend le pouvoir et en donne à toutes les personnes qui ont vécu la même histoire. Elle démontre qu’en parlant, on peut faire changer les choses.
Pour changer les choses, il faut changer les gens ; et pour changer les gens, il faut leur parler, les convaincre. Il n’y a pas de mobilisation collective sans communication. Martin Luther King l’avait bien compris : pour que son « rêve » devienne réalité, encore fallait-il qu’il soit partagé par un grand nombre de personnes. Et pour cela, il fallait parler.
Vous avez du pouvoir
Mais il n’y a pas besoin de s’appeler Martin Luther King ou Adèle Haenel ou Julian Assange ou Greta Thunberg pour prendre la parole et avoir de l’impact. Lorsqu’un Gilet Jaune s’exprime sur un rond-point, il a de l’impact. A chaque fois, que mes étudiant·e·s, en classe, parlent de harcèlement scolaire, racontent leur histoire, proposent une voie, des solutions, elles/ils ont de l’impact. Quand, lors du repas de Noël, vous mettez sur la table un sujet qui vous tient à cœur, vous avez de l’impact. Lorsque vous mentionnez à votre conjoint ou votre conjointe une de ses attitudes qui vous blesse, vous avez de l’impact.
Faire exister nos envies, nos convictions, poser des limites, revendiquer, protester, alerter, fédérer : en prenant la parole, nous nous donnons la possibilité de changer ce qui nous entoure. De modifier la manière de penser, de ressentir ou d’agir des gens qui nous écoutent. De faire advenir un futur, privé ou public, qui nous semble meilleur.
Alors oui, prendre la parole peut sembler effrayant. C’est justement parce que nous savons, plus ou moins consciemment, que la parole nous donne du pouvoir que nous en avons peur. Et si nous laissions notre syndrome de l’imposteur de côté ? Et si nous arrêtions de penser que nous n’avons rien à dire ? Commençons à nous sentir légitimes, non pas plus que les autres mais à l’égal des autres.
On attribue à Gandhi la phrase suivante : « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ». Incarnez-le, ce changement, incarnez-le dans vos actions mais parlez-en également ! Une idée a le pouvoir de faire le tour du monde… à condition qu’une personne, au départ, l’exprime.
Alors… Pourquoi pas vous ?